Rwanda: l’enquête manipulée
08/04/2013
Serge Raffy
Spécial investigation. Sur Canal+ à 22h45
C’est sans doute un des dossiers les plus noirs que la mémoire française doit affronter depuis bientôt deux décennies : celui du génocide rwandais. Quel a été le rôle de Paris, et de la diplomatie mitterrandienne, dans le déclenchement des massacres barbares qui ont coûté la vie à près d’un million de Tutsis, en 1994 ? Comment une incroyable manipulation judiciaire a-t-elle été orchestrée pour exonérer l’Etat français de toute responsabilité dans cette barbarie ? Epouvantable interrogation. Pour répondre à ces deux questions, il fallait s’éloigner des polémiques hexagonales, reprendre le dossier méthodiquement, sans a priori. Et s’en tenir aux faits judiciaires. A l’enquête sur l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, événement majeur, à l’origine du génocide.
C’est ce qu’ont réalisé Catherine et Philippe Lorsignol, deux journalistes belges, dans une remarquable et très sérieuse enquête pour la RTBF. Ils ont reconstitué le scénario du crash du Falcon du chef de l’Etat rwandais, abattu par un missile sol-air, alors qu’il était en phase d’atterrissage sur l’aéroport de Kigali, tout près de la résidence présidentielle. Acte terroriste invraisemblable ? Très vite, l’attitude de la France apparaît plus que trouble. Des officiers de gendarmerie, sans la moindre autorisation, se précipitent sur les lieux de l’attentat, à la recherche de la boîte noire du Falcon. Curieusement, après leur passage, elle a disparu.
Plus incroyable, les débris du missile meurtrier disparaissent, eux aussi, mystérieusement. Autre élément troublant : on demande discrètement à la famille des trois membres de l’équipage de l’avion abattu de ne pas déposer plainte. Pourquoi une telle panique ? Qu’aurait donc la France à cacher ?
En remontant le fil du drame, force témoins à l’appui, le document belge précise le rôle central d’un personnage-clé : Paul Barril, l’ancien membre de la cellule GIGN de l’Elysée. A l’époque, un an avant l’attentat, il est conseiller de l’armée rwandaise, majoritairement hutue. Avec l’accord de la présidence française, il forme l’état-major, organise le renforcement des troupes, mais aussi de l’arsenal des forces armées rwandaises. Quelques semaines avant l’attentat de Kigali, plusieurs témoins racontent qu’il cherchait à acheter des missiles. Barril, l’agent multicarte du mitterrandisme de l’ombre, se trouve au coeur du dispositif. A-t-il participé, comme certains le prétendent, à la livraison de missiles français Mistral, dont l’un d’eux aurait été lancé sur le Falcon présidentiel, depuis le camp militaire hutu de Kanombé, ce qui expliquerait la disparition des débris ? Des militaires français, au moins comme assistants techniques, ont-ils déclenché le tir meurtrier, et pourquoi ? Peu à peu, le récit s’éclaire. Sous un angle politique.
Le président Habyarimana, pour sa propre communauté, était devenu un traître, un renégat. Motif: sous l’égide de l’ONU, il avait signé les accords d’Arusha, organisant le partage du pouvoir entre les deux ethnies ennemies. La paix était à ce prix. Il était devenu le “valet des Tutsis”. Il était l’homme à abattre. Dans le documentaire, de nombreux témoins confirment l’hypothèse du complot des extrémistes hutus. Leur projet: éliminer le “traître” et déclencher les tueries.
Et pourtant, pendant douze ans, la justice française va se claquemurer dans une version fabriquée de toutes pièces, celle d’un meurtre commandité par les Tutsis pour… déclencher leur propre génocide. Absurde ? Le juge Jean-Louis Bruguière, avec une cécité et un acharnement surprenants, ne bougera pas de cette ligne. Son principal témoin, dans ce dossier, s’appelle… Paul Barril. Le juge que certains magistrats surnomment “le juge de la raison d’Etat” va même recruter, comme interprète de la langue hutue, l’ami de Barril, un certain Fabien Singayé, actionnaire de la radio génocidaire les Mille Collines, la même qui, trois jours avant l’attentat, sur ses ondes, préparait la population à la guerre civile, annonçant l’imminence du drame.
Catherine et Philippe Lorsignol apportent des preuves irréfutables, par de solides et nombreux témoignages, que le génocide des Tutsis était programmé depuis plusieurs semaines, qu’il n’avait rien de spontané, que la mort du président “félon” était le “top départ” des massacres et, enfin, que la France a tenté d’échapper à ses lourdes responsabilités. C’est désormais la piste que suit le juge Marc Trévidic, successeur de Jean-Louis Bruguière. Le magistrat, réputé pour son indépendance, retrouvera-t-il la trace des pièces volatilisées et, surtout, la boîte noire du Falcon 50 ? L’enquête sur le génocide rwandais est désormais dans sa saison 2. Pas sûr que l’image de la France en sorte grandie.
(SOURCE : LE TELE OBS : HERE)
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